Demande de fournitures

Après avoir vu l'agrandissement spectaculaire de la chambre, je conclus que le château accepte nos familiers à domicile. Des stalles ont été prévues contre le mur du fond, reste à les garnir. Les écuries dégagent cette odeur caractéristique des montures quelles abritent. Pégases y côtoient chevaux terriens, mais également des licornes non douées de parole, et d'autre bestioles à plus ou moins quatre pattes, susceptibles de pouvoir transporter un humain. Ou tout autre être humanoïde. Le point commun à toutes les bêtes enfermées ici sont qu'elles sont herbivores. Et donc potentiellement en danger de mort alors que Orfèvre les observe comme s'il choisissait une pièce de viande chez le boucher.
Je lui donne un coup de coude dans les cotes, ce qui, compte tenu de sa taille, sa force et sa résistance ne lui fait pas plus d'effet qu'une piqure de moustique terrien.
A ce moment, un garçon d'écurie passe à notre portée. Je l'attrape par le coude.
-S'cusez. J'aurais besoin de deux ou trois truc.
Il commence par soupirer en se tournant vers moi, puis avise Orfèvre et affiche un faux sourire.
-Bien sur! Je suis là pour ça damoiselle.
Il se campe sur ses jambes, bras croisés sur sa poitrine, me dominant de toute sa taille. Pas plus impressionnée que ça -j'en ai vu d'autres- j'entame ma liste:
-Une ou deux bottes de paille fraiche, du foin ou d'autres aliments pour pégase, un râteau, un balais, des seaux, brosses, pinceaux chiffons, éponges, couvertures aussi, on ne sait jamais,...
Ses yeux s'agrandissent à mesure que ma liste prend de l'ampleur. Imperturbable, je continue.
-... un tuyau d'arrosage, deux kilos de sucre, une enclume, un chaudron et vingt trois livres de fourchette de centaure racornie en poudre.
Là, s'en est trop.
-Q... Quoi? Tout ça?
J'en ronronne presque.
-Non, je plaisantait...
Je vois ses épaules se détendre légèrement.
-Oubliez l'enclume, le chaudron et la poudre.
Il fronce les sourcils, conscient que je me moque de lui, puis m'adresse un sourire mielleux, tendant le bras vers une allée annexe.
-Si mademoiselle veut se donner la peine de me suivre...

Un quart d'heure plus tard, je me tien face à un monceau de bazar. Tout y est. La paille, le foin est les divers accessoires n'ont pas été très dur à trouver. Faut dire que j'avais supprimé de la liste les choses les moins courantes. Comme l'autre tourne les talons, après m'avoir rapidement salué, je l'apostrophe.
-Hé!
Il s'arrête, signe qu'il m'écoute.
-Comment vais-je transporter tout ça jusqu'à notre chambre?
Il se retourne tout à fait, et me répond d'un ton poli:
-Je suppose qu'un incantation servirai mieux la demoiselle que mes pauvres bras.
Entre mes dents, je lui répond que je crains de n'être pas assez puissante. Son sourire s'élargit, carnassier:
-Mademoiselle à pourtant l'air d'être une personne qui ne doute pas de ses capacités.
Sur que si je devais lui trancher la gorge maintenant, nul doute que j'y arriverai.
-Mon pouvoir ne s'est déclaré que très récemment.
Je prend un air gêné. Non pas que lui mentir me dérange, puisque je n'ai aucun pouvoir, mais un peu d'humilité dans ce bas monde ne fait de mal à personne. Il plisse les yeux.
-Je vois, reprend-t-il. Mais... Il s'agit d'un éveil plutôt tardif, si je ne m'abuse, non? Quel âge avez vous?
Je manque de répondre que j'ai cinq ans, avant de lui dire du bout des lèvres que je vais sur mes dix-sept.
-Oohh. Peut être venez vous d'une famille de nonsos?
Dans le mille mon grand. Il bombe le torse, comme fier d'une supériorité en laquelle il est le seul à croire. Riche héritier d'une puissante famille?
-On peut dire ça... Alors, m'aiderez vous?
En disant ces derniers mots, j'ai profité de mon héritage de vampyr. Mon charisme, très léger, si léger qu'il n'en a même pas conscience, vient infléchir sa volonté. Ses yeux s'ouvrent en grand, son expression se radoucit, puis il affiche un air de somnolence à peine perceptible.
-Bien sur, ça serait avec plaisir.
Ses paupières papillonnent. Le pauvre à une résistance au charme féminin proche du nombre de fois ou Orfèvre a accepté de manger de la salade. Nulle.
Je m'approche de lui, pose une main sur son épaule, et lui dit, le visage presque collé au sien:
-Ma colocataire et moi logeons dans le dortoir de la licorne. Demandez là bas qu'on vous indique la chambre, notre équipe passe difficilement inaperçue, je suis sure que quelqu'un saura vous renseigner.
Comme je sens ses genoux flancher et le devine près à s'évanouir, je recule d'un pas. Je le remercie de sa bienveillante coopération avant de vider les lieux.
L'amusement de Orfèvre est clairement perceptible, et je manque d'éclater de rire à le sentir si fébrile.

-Me changer?
Je jette un coup d’œil à mon jean, qui me parait tout à fait acceptable.
-Bizarre?
L'étonnement d'Orfèvre est tel qu'il le formule à voix haute. Nous protestons en même temps.
-M'enfin!
Puis j'utilise ma tête tandis que mon canasson marmonne dans sa barbe qu'il n'est absolument pas bizarre, qu'il a quatre pattes, deux oreilles et une queue comme tout équidé qui se respecte.
-Que nous veux la reine?
Au moment ou Juliette ouvre la bouche pour répondre, une botte de foin en lévitation heurte mon épaule doucement. Le garçon de tout à l'heure s'est mis en route pour déposer nos quelques affaires. En voyant que sa manœuvre a interrompu ma discussion avec la demie elfe, il se jette à mes pieds en implorant mon pardon, pleurant presque, s'écriant à quel point il est désolée et qu'il est près à tout pour se racheter à mes yeux. Pendant qu'il discourt, les ustensiles pleuvent autour de nous et je me doit faire appel à mes réflexes surhumains (sur-elfiques et sur-vampyriques également) pour ne pas me retrouver coiffée d'un seau.
Quand le déluge cesse, je me penche, le prend par l'épaule et le remet sur pied à la force d'un bras.
-Commencez par ramasser tout ce qui est tombé, puis allez les poter dans ma chambre. Pour vous racheter, vous arrangerai aussi les couches du pégase et du cheval, cela sera amplement suffisant.
Il balbutie un remerciement, puis se sauve, suivie d'une ribambelle d'objets hétéroclites. Je le regarde s'éloigner avec un froncement de sourcil, mon charisme n'aurait pas du avoir encore effet à ce point sur lui. Orfèvre cille, le détail lui semble étrange à lui aussi.
Puis, haussant les épaules, je me tourne vers mon interlocutrice et la relance:
-Alors, la reine?

-Une réception?
Demande Orfèvre.
-Une jupe?
C'est à moi d'être étonnée. Il va y avoir comme un léger problème.
-Mais je n'ai pas de jupe! Pas de robe non plus!
Ben oui. Au labo, on a pas vraiment besoin d'être sapés comme des princes. Une blouse suffit au scientifiques, quant aux dracs, vu qu'on passe notre temps libre à se taper dessus, on préfère largement des habits qui se prêtent plus au combat. Ce qui est quand même préférable aux escarpins. L'un des nôtres a développé une sorte de changeline mi vivante, mi mécanique, à partir de cellules récupérées sur une vraie changeline morte... cassée... enfin, hors d'état de fonctionner. Comme il s'agit d'une vague copie des originales, nos changelines mécaniques ne peuvent nous fournir une garde robe quasiment illimitée. Nous devons leur faire absorber ce que nous souhaitons porter à l'avenir. Ainsi, si j'ai bourré la mienne de pantalons, de bottes, de chemises et tee-shirts renforcés, ajoutés à des armes en tout genre, je n'ai jamais, au grand jamais, pensé à y ajouter une tenue de soirée.
Naturellement, puisque je me balade avec mes fringues accrochés dans le haut du coup, je n'ai rien ajouté dans mon sac pour ne pas m'encombrer. Il faut dire à ma décharge qu'étant Omoisienne, je n'avais pas prévu de me retrouver conviée à une réception tenue par la reine en personne. Pas le genre de truc qu'organiserai l'Impératrice sans que tout le monde soit au courant six mois à l'avance.
Orfèvre est en train de faire étendue de son arbre généalogique auprès de Juliette afin de lui prouver que, si si, il est bien un cheval il n'y a pas de doute à avoir là dessus.
Il me reste à la convaincre à mon tour que je peux très bien me présenter en pantalon, que je me ferai toute petite et que personne ne verra que ma tenue n'est pas convenable.

C'est vrai, nous faisons sensiblement la même taille. Elle a les hanches et les épaules légèrement plus fines, mais ça devrait le faire. Je tente un sourire.
-Si ça ne te dérange pas, moi ça me va. Promis, je ne ferai pas de taches.
Orfèvre c'est muré dans un silence boudeur et laisse pendre sa lèvre en signe mécontentement. Pour la deuxième fois en peu de temps, je lui lance mon coude dans les côtes.
-Et toi, si tu n'arrête pas immédiatement ton cinéma, je te jure que je fouille le château dans tous les sens jusqu'à trouver un ruban rouge à nouer autour de ta queue.
L'effet est immédiat. Il s'écarte de moi, la tête entre les pattes, dans une position menaçante tout en grondant comme un fauve. Ou un dragon. Ce qui est normalement impossible à un cheval. Voilà qui ne va pas renforcer la crédulité de Juliette.
Puis, comme j'éclate de rire face à sa conduite, il renâcle, puis prend la direction du château au petit trot, levant exagérément haut ses sabots larges comme des assiettes, l'encolure haute et l'air tout aussi hautain.
J'adresse un clin d’œil à Juliette et le suis à la même allure.